Et si on écoutait les data ? par Christine Tréguier
Dans les salons et conférences sur le Big Data ou l’Open data, il est fréquent d’entendre des conférenciers expliquer sur un ton un tantinet martial qu’il faut aujourd’hui « faire parler les data ». Qu’on se le dise, avec les experts de ce nouveau business, porteur de fol espoir de croissance, les data sont priées de lâcher le morceau. Et vite ! Mais les data sont bien souvent silencieuses, ou parlent en même temps différentes langues et leur nombre fait qu’on a du mal à entendre ce qu’elles nous murmurent. Sans doute faudrait-il pour cela apprendre à les écouter.
C’est un peu le pari lancé par Roger Malina, astrophysicien et fondateur du ArtSciLab de l’Université du Texas (Dallas) et de son compère Andrew Blanton, media-artiste et compositeur. Invité par Décalab pour la première de son cycle de conférences-performances intitulée « Data dramatization », le duo a fait écouter « le chant des data » au public venu nombreux le 12 septembre pour un « 5 à 7 » au Lab, de l’Institut Culturel de Google.
Durant 40 minutes, Malina et Blanton se sont renvoyé la balle, dévoilant les projets de leur laboratoire, montrant d’étonnants graphiques et courbes issus de « very big » jeux de données et surtout jouant de la data grâce au talent d’Andrew Blanton et aux instruments-interfaces qu’il bricole à cet effet. Vous rêviez d’entendre la musique des sphères et du cosmos – autrement dit de données temps réel spatialisées collectées par un téléscope en Antarctique – ils l’ont joué ! Cela s’appelle « One Antarctic night ».
Ou encore la mélopée rythmée des liens (76 000 répertoriés) qui se font et se défont entre les noeuds de neurones (3912 dans un cerveau), c’est « Connected Brain » et ils l’ont joué aussi ! Quant aux projets en cours ou à venir du ArtSciLab, ils sont tous plus fous et improbables les uns que les autres. Le postulat de départ de Roger Malina est simple : il s’agit de « faire avec les data ce qu’aucun scientifique raisonnable ne ferait ». Avec Texas Gong, la « sonification » permet d’explorer les data géologiques du Texas, et, ça va sans dire, dans les régions où les pétroliers pratiquent le phracking pour extraire gaz et huiles de schiste, le gong sonne très fort… Ils travaillent aussi avec Mikhail Kozlov (Dallas) et Yang Wei (Tisnghua Univ – Chine) sur des enceintes à base de nanotubes de carbone qui produiront des sons différenciés dans toutes les directions. Une sorte d’hologramme sonore digne d’un roman de SF.
L’objectif des deux compères est scientifico-artistique, mais aussi de toute évidence fortement politique et social. Il est en partie explicité par une phrase de Daniel Boorstin, citée par Malina, qui, en 1992, expliquait que nous étions en train de passer d’un monde « riche de sens et pauvre en données » à un monde « riche en données et pauvre de sens ». Elle s’applique plus encore à la réalité de notre société du XXIème siècle qui stocke et spécule sur des monceaux de data produites et captées chaque jour. Si ces tsunami de data résultant de multitudes d’expériences humaines et terrestres ont un sens, la question n’est pas de leur faire dire ce que l’on voudrait, mais de comprendre comment le sens émerge et comment le faire émerger.
Deux autres présentations complétaient cette conférence : Tommaso Venturini, coordinateur du Sciences Po Medialab a présenté MEDEA un outil de cartographie développé pour observer et visualiser les débats autour du changement climatique et de l’adaptation à ce phénomène.
Présentation également, par sa commissaire Isabelle Arvers, de travaux artistiques utilisant des data extraites de l’ « Anti-Atlas of Borders ». Cette exposition a été conçue en lien avec les sociologues de l’IMERA pour explorer ce qu’est aujourd’hui une frontière, ce qui s’y vit, s’y échange ou pas, sa technologisation, et les drames quotidiens des indésirables issus des pays pauvres, que les pays riches persistent à qualifier d’ « illégaux ». De très passionnantes réalisations, interactives et participatives pour certaines, que nous vous laissons découvrir sur le site Anti-Atlas.net qui continue à s’enrichir de nouvelles oeuvres.
Liens pour en savoir plus :
http://texashats.org/artscilab/
http://www.antiatlas.net/
http://www.medialab.sciences-po.fr/fr/projets/medea-mapping-environmental-debates-on-adaptation/