Allons voir les artistes au théâtre, ils ont des choses à nous dire…
Théâtre et science-fiction
Un théâtre ultra contemporain, terriblement intéressant…
«Il n’est pas de style scénique à jamais fixé, écrivait Vilar dans son Rapport général aux comédiens. Création ou interprétation, toute chose en notre métier subit aussi les remous de l’histoire. Rien n’est fixe. Et rien ne peut être modifié sans quelque danger. Le fait caractéristique de notre métier, peut-être est-il ce mouvement permanent, cette mobilité incessante, ce devenir jamais stoppé.»
Cette citation convient bien aux deux spectacles vu à peu d’intervalle et notamment à Arpäd Schilling qui s’en est inspiré directement pour sa nouvelle pièce « Néoplanète ».
Il est réjouissant de voir le théâtre innover depuis quelques années et réfléchir le monde tel qu’il est aujourd’hui.
Jeune metteur en scène hongrois du nouveau théâtre européen, le théâtre d’Arpäd Schilling nous donne à voir un monde contemporain sec où l’humanité est au plus mal.
Ici il interroge la migration, celle notamment des roms, mais aussi le pouvoir et les pouvoirs incarnés par des politiciens véreux ou des journalistes oubliant tout scrupule.
Partant d’une histoire qui pourrait être d’un cynisme drôlatique s’il n’était pas simplement tragique, le sort de deux enfants roms rapatriés suite à une erreur non pas à Bucarest mais à Budapest en Hongrie.
Mêlant réel et science-fiction, le spectacle est fait de petites scènes, de courts-métrages distillant une étrange poésie.
Tous ces moments de théâtre, mais aussi de cinéma sont liés par des performances de cirque où des acrobates grimpent à une corde de tous les possibles mais aussi de tous les enfermements .
Les interventions du réel sont surprenantes. Un jeune rom est interviewé sur scène et par le public. Les acteurs demandent au public de choisir quel sera celui à sauver pour cette expérimentation de vie sur une autre planète, et on est bien loin des spectacles de Robert Hossein…on est pris au piège de statuer sur la vie ou la mort d’un individu par notre carcan culturel et moral…
Une arche de Noé humaine…
Néoplanète est un drôle de spectacle mêlant cirque, théâtre, cinéma, performance.
Le carré blanc, l’écran, donne à la scène un aspect de tableau contemporain.
Le spectateur est souvent en mis en abyme par les différents plans :
Scènes de théâtre, propos de Science-fiction, images de cinéma…
Dans le public, les réactions ont été aussi brutales que le propos : de nombreuses personnes ont quitté la salle, tout d’abord le public habitué des lieux plus âgé, mais aussi dans un second temps des adolescents.
A la fin du spectacle, la salle est clairsemée.
Alors pourquoi ce rejet ?
Devant la forme atypique du spectacle peut-être. Il n’est pas facile d’innover et de proposer cette forme de radicalité sur scène.
Pourtant les propositions de participation du public, et la multidisciplinarité étaient intelligentes mais le spectateur est souvent perdu dans toutes les propositions. Les scènes avec les acrobates danseurs sont trop longues et ne nous attachent pas aux personnages. Et ce qui manque le plus à ce spectacle c’est certainement le récit…celui qui accroche qui nous donne envie de nous impliquer, celui qui donne du corps au théâtre.
Peu d’émotions quelquefois plus portées par les images de cinéma en noir et blanc que par les comédiens. Ce projet devait être un film au départ, est-ce cela qui fait que les choix ne semblent pas définitivement tranchés ?
C’est une belle expérimentation pourtant qui donne à voir un monde éclaté, fragmenté où chaque individu joue sa survie. Mais pour donner à voir ce monde, il faut aussi de la chair et du sang…
Autre pièce, autre proposition…
Dans le cadre du festival d’Automne, on peut voir en ce moment « World of wires » du metteur en scène new-yorkais Jay Scheib.
Ici c’est aussi un théâtre ultra-contemporain coup de poing. Directement inspiré de la série « Welt am Dracht » de Rainer Werner Fassbinder lui-même basé sur le roman de science-fiction « Simulacron-3 » de Daniel F. Galouye. Ce spectacle fait partie de la trilogie « Villes simulées/Système simulé» résolument tournée vers les nouvelles technologies et multidisciplinaire. Jay Scheib a travaillé avec des urbanistes, des ingénieurs en intelligence artificielle, des informaticiens, il a aussi fait appel à l’aéronautique et l’astronautique.
Le metteur en scène dit de la SF que c’est une forme littéraire qui permet de d’aborder des sujets qui seraient jugés intouchables…
Nous retrouvons Baudrillard qui en 1978 dit « le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité – c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai. » Jay Scheib s’inspire largement de sa philosophie.
Jubilatoire et intelligent, c’est comme cela que l’on pourrait qualifier son théâtre.
Une esthétique très forte renforcée par cette mise en abyme donnée par la mise en scène où la vidéo est largement utilisée, je devrais dire élément central de la mise en scène.
Quand commence le spectacle, on se croit au cinéma bien que l’on devine derrière l’écran les coulisses, les lieux où ça se passe.
Puis l’écran de cinéma laisse la place à de multiples écrans de télévision et à la scène. Le metteur en scène c’est la caméraman sur scène qui filme inlassablement le présent en train de se construire, ces personnages qui se projettent sans cesse dans un monde virtuel, mais où est le monde réel…ses personnages se cognent à cette question, se frappent, tombent (est-ce dans la vraie vie qu’on est maladroit ou dans le virtuel ?) font l’amour, s’invente des paradis artificiels. Les décors s’écroulent, se reconstruisent, se déconstruisent.
On retrouve la trame du roman de SF et l’esprit de Fassbinder mais le propos est aussi celui de Jay Scheib. La question de notre genre est sans cesse présente : homme, femme, qu’est ce que cela veut dire ? qu’est-ce que cela induit ? de quelle matière sommes-nous faits ? de chair, d’ondes cérébrales, de réseaux… ?
La marchandisation, le pouvoir qu’est-ce que c’est aujourd’hui et où est-il ?
C’est vertigineux.
Les espaces, les temporalités sont manipulés, démultipliés…
Les entrées et sorties sont largement rythmées comme dans un bon théâtre de boulevard mais sont ici des allers-retours dans une réalité (fictive) et dans un monde virtuel (réel ?).
C’est un théâtre cru qui nous laisse un drôle de goût en bouche…allez-y mais laisser au vestiaire vos préjugés.
Ces deux spectacles sont similaires, même s’ils sont très différents dans leur approche, par ce que les deux artistes nous proposent de notre monde. Tous deux nous interrogent sur ce qu’est être un homme aujourd’hui, où nous conduisent les technologies ? et surtout où veut-on aller ? jusqu’où ?
Et ça c’est passionnant pour l’innovation.
Néoplanète, Arpäd Schilling s’ est joué jusqu’au 26 octobre au Théâtre de Chaillot .
World of wires, Jay Scheib se joue jusqu’à samedi 17, à la MAC de Créteil puis entame une tournée.