Le designer, l’artiste et le chercheur / épisode 3 délinéariser [Nord], par Emmanuel Mahé

 

 

(épisode 3 / 7) Après avoir créé des problèmes et désordonner, il s’agit maintenant d’explorer la délinéarisation des projets. On a trop souvent tendance à faire du management linéaire alors que les processus de l’art et du design exploratoire sont tout sauf linéaires!
Ce troisième épisode présente un 3ème point cardinal imaginaire. A chacun des quatre points cardinaux correspond une singularité partagée par les créateurs en art, design et recherche. Pour mémo, ce texte est issu d’un article paru dans les « Ateliers de la Recherche en Design ».

Même s’il n’est pas possible de délier le temps de l’espace, séparons les deux termes temporairement pour poser cette question : comment une création (une œuvre ou une performance artistique, un objet, un processus ou un environnement design, une idée ou tout autre type de création provenant du design et de l’art) peut-elle émerger à un moment donné, et surtout dans quel type de durée se développe-t-elle ensuite (le processus d’innovation compris d’abord dans son sens traditionnel) ? Il y a en effet un lien entre les recherches « fondamentales » en science, en design et en art lorsque celles-ci ont pour visée commune d’être en décalage avec leur temps (tout en espérant s’y accrocher a minima pour exister socialement) afin de proposer un objet, au sens le plus large, perçu comme potentiellement « innovant », préfigurateur de futures tendances. La valeur de l’anticipation (à plus ou moins long terme) est une constante dans l’histoire du design et de l’art du XXème siècle, on retrouve en rémanence cette injonction de l’avant-gardisme Moderniste dans les pratiques de création contemporaines, même si elles se jouent différemment. Mais cette vision chronologique de l’anticipation (avec l’avenir comme point de fuite), si elle conditionne souvent les programmes de recherche et de développement mis en œuvre dans le domaine de l’innovation (tous domaines confondus), ne doit justement-elle pas être délinéarisée, dépliée, c’est-à-dire problématisée ?

Les théories sur le temps sont très variées (et parfois contradictoires : le temps pensé par Bergson n’est pas le même que celui d’Hegel, le temps de Newton diffère celui du temps de la théorie des cordes, etc.) et, parfois résonnent les unes avec les autres, de manière synchrones ou pas (on peut voir par exemple un lien fort entre le temps pensé il y a trois siècles par Leibniz [portrait ci-contre] et celui que nous vivons aujourd’hui, le temps de Proust résonne avec la relativité restreinte qui lui était contemporaine, etc.).
Si les théories divergent à ce sujet, les pratiques aussi (la théorie étant d’ailleurs une pratique elle-même). Il n’y a donc pas universalité du « temps qui passe », qui « coulerait » du passé au présent, vers un avenir plus ou moins proche. « Le » temps est un invariant qui ne cesse de varier selon les époques, les sociétés, mais aussi selon le temps vécu par chacun, selon les situations, les techniques de mesure, les grands systèmes de pensée. Point de relativisme à cet endroit, plutôt une théorie relationniste. Il n’y a pas non plus un temps absolu d’un côté, et, de l’autre, un temps vécu : si une horloge atomique permet aujourd’hui de mesurer le temps au picoseconde près, elle est pourtant prise elle aussi dans un certain type de positivité ou d’épistémè (permettant l’émergence de véridictions), elle est prise dans son espace propre (symbolique, physique, conceptuel, historique, technique…), comme l’est le temps vécu par un individu qui est pris lui-même dans un dispositif global de représentation et d’actions. Aussi fine et stable soit la mesure d’un temps atomique, elle est précisément prise dans son atomicité propre, historique, donc éphémère. Le « temps linéaire » de l’innovation (industrielle ou pas) est historique lui aussi.

Cette simple première affirmation (la variabilité incessante du temps pensé comme un invariant objectivable) permet déjà de ne pas enfermer la notion de processus de création (ou de recherche) dans un mode seulement linéaire, ce qu’on a tendance à faire dans un « management-project » de R&D. La notion d’anticipation présuppose une vision chronologique de l’innovation, avec un point de départ et un point d’arrivée (en ligne droite), avec un amont et un aval (souvent vertical), un présent et un futur (point-de-vue et horizon). Or l’émergence à un moment donné d’un type de création singulière et isolée qui, quelques années plus tard, peut être mis en lien avec une pratique équivalente mais généralisée, nous pousse à croire en une vision historique chronologique avec ses pionniers et ses suiveurs, ses inventeurs et ses copieurs, ses avant-gardes et ses arrière-troupes : l’idée qu’il existe une forme de continuité historique à pente plus ou moins rapide, avec des accélérations plus ou moins fortes (« accélération de l’innovation », « raccourcissement » de la durée entre l’invention et son application sur le marché, etc.). La vitesse (accélération ou décélération) n’est donc pas nécessairement le signe d’un changement de paradigme du temps, elle dépend souvent uniquement de la pente plus ou moins forte du temps tel qu’il est compté (créé), selon le contexte.

La notion de linéarité temporelle infiltre tellement notre représentation mentale du temps de l’innovation que nous ne la voyons plus, y compris dans ce qui semble ne pas en relever : les chronologies circulaires (les « cycles d’innovation »), les mouvements pendulaires (les modes récurrentes), les dynamiques hélicoïdales (les cycles ouverts). Même les reculs, les régressions de toutes sortes sont sur ce même schéma qui nous oblige à nous mouvoir sur une seule et même ligne (qu’elle soit droite ou tourbillonnante, en marche arrière ou en marche avant), mue par une seule force qui semble être universelle : le temps qui passe. Le seul fait de l’énoncer montre à quel point nous sommes pris dans un schéma caricatural, simpliste et réducteur! C’est pourtant celui-ci qui norme la plupart des modèles d’innovation : la recherche fondamentale d’un côté, et la recherche appliquée de l’autre ; les signaux faibles puis les tendances ; la recherche puis le marketing ; l’individu puis le collectif ; l’idée puis le service ; le « concept » puis l’application… Les designers, les chercheurs et les artistes (au moins certains d’entre eux) partagent, à cet endroit, un nouveau point commun : pratiquer les processus d’une autre manière, déverrouiller les anciennes catégorisations temporelles, court-circuiter les étapes, délinéariser les processus traditionnels de l’innovation : là encore, créer un problème productif. Prenons l’exemple d’une production en design qui pose la question de l’anticipation, et donc questionne la temporalité des usages, de leur inscription dans une durée.

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Le Studio Troïka, collectif de designers et d’artistes londoniens, créent des objets et des usages singuliers qui semblent, a posteriori, anticiper de nouveaux produits et services commerciaux. Détaillons-en un exemple, commentons-le d’abord en abordant la question de l’anticipation, pour ensuite tenter une analyse moins linéaire et plus problématique.

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Le « SMS Guerilla Projector » (1) créé par le Studio Troïka est un dispositif bricolé diffusant les messages qui lui sont envoyés par SMS, pour les projeter sur toutes les surfaces : façades d’immeubles, portes, panneaux routiers, vêtements… Avec ce procédé, toutes les surfaces deviennent ainsi potentiellement des écrans de téléphones mobiles. L’appareil inclue dans sa poignée un téléphone mobile, le corps principal du système intègre un système de projection électro-optique [fig. 7]. Le tout ayant une allure quelque peu « low-tech », participant en cela au côté post-situationniste des usages qui en sont fait par le collectif sous forme de performances publiques : par exemple des SMS du type « What are you waiting for ? » sont projetés sur des panneaux de la voirie publique, interpellant ainsi les passants sur le sens de leur présence individuelle dans un espace collectif [fig. 8].

Ce bricolage ingénieux a été produit voici quelques années. A l’époque, il était généralement perçu comme une idée un peu farfelue, en décalage avec la réalité (à quoi bon projeter des SMS qui, souvent, sont adressés à un seul destinataire?). Et pourtant, aujourd’hui, la projection de textes SMS ou de vidéos à partir de son téléphone mobile devient une réalité commerciale.

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[fig.9] à g. : DLP(R) Pico-Projector intégré dans un prototype de téléphone mobile

 

En 2007, Texas Instrument a créé un prototype (2) intégrant un micro-vidéoprojecteur dans un téléphone mobile [fig.9 & 10] : vous pouvez ainsi projeter une vidéo sur une surface quelconque (le mur d’une chambre d’hôtel par exemple) à partir du téléphone lui-même. Aujourd’hui équipé d’un LASER, l’utilisation de LED pourrait améliorer, selon les concepteurs, les performances d’affichage du prototype actuel (avec une meilleure résolution que celle obtenue actuellement). Vous pourrez ainsi visionner un film de taille appréciable, et non plus seulement le visionner sur le petit écran de votre terminal mobile.
Ce n’est pas un simple gadget, ni un simple agrandissement de l’image, c’est une véritable transformation des usages audiovisuels liés à la mobilité. L’écran n’étant plus incorporé dans l’objet que vous tenez au creux de la main (votre mobile) mais, étant projeté face à vous, toutes sortes d’usages encore impossibles aujourd’hui peuvent alors émerger : on pourrait regarder un film à plusieurs (l’image étant assez grande), le terminal mobile (un téléphone ou un PDA) pourrait devenir l’objet interacteur d’une image projetée (un peu comme avec la Wiimote de Nintendo), ou l’utilisation combinée de la caméra et de la projection permettrait de développer des interfaces gestuelles, la projection pourrait se faire aussi sur une table, sur votre peau, etc. On peut imaginer non seulement des modes de projections mais aussi des modes d’interactions homme-machines très variés par le simple fait de diffuser une image en dehors de l’écran de visualisation du terminal. Le changement quantitatif (image plus grande) est en réalité un changement qualitatif très important (de l’image-écran à l’image-environnement).

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Si nous conservions la perspective linéaire, on peut considérer que les usages ou les pratiques « décalées » (celles d’artistes ou de designers expérimentant les nouvelles technologies) précèdent souvent l’innovation technique. Le studio Troïka avec son « SMS guerilla projector » a préfiguré ce qui adviendra massivement dans quelques années : un nombre croissant d’utilisateurs aura un « vidéoprojecteur embarqué » dans son téléphone mobile (à l’image de ce qui s’est produit avec l’intégration d’une caméra vidéo). Les évolutions techniques, à leur tour, vont créer les conditions d’émergences de nouveaux usages : les nouveaux instruments ou dispositifs technologiques produisent de nouvelles attentes, de nouvelles attitudes, de nouveaux besoins. Ces deux aspects, loin de s’opposer, s’alimentent l’un l’autre comme un « cycle d’innovation » entre usages émergents et technologies nouvelles. Le métier de la R&D est aussi celui-ci : repérer les « signaux faibles » d’aujourd’hui (à l’instar des veilles technologiques), c’est-à-dire détecter et analyser les usages minoritaires, décalés et singuliers, pour anticiper les tendances de demain.

Avec cette vision classique du temps de l’innovation précédée par celui de l’invention, nous sommes pris encore une fois dans un schéma chronologique et linéaire avec, en amont, les signaux précurseurs puis, plus en aval, les tendances lourdes, avec en première phase la recherche réservée à des pratiques restreintes et parfois élitistes, et ensuite la diffusion de ces mêmes idées ou objets dans la société à travers l’innovation, c’est-à-dire le passage de la création singulière et isolée à une diffusion partagée par le plus grand nombre (de l’artisanat de la recherche à l’industrialisation et à la normalisation). Bien entendu cette vision a sa pertinence (c’est peut-être une véridiction), mais elle perd de son efficience si on en reste à son efficacité propre, comme emprisonnée dans son propre horizon. Le plus souvent, elle est construite a posteriori car seul le recul temporel permet de considérer telle pratique ou telle création ancienne comme un signal faible préfigurant la tendance d’aujourd’hui : il y a là un effet de (re)construction. Or la force du signe faible (minoritaire) est qu’il échappe souvent, quand il émerge, aux constructions fortes (dominantes), même s’il est toujours en relation avec un diagramme (3) particulier.

Si la pratique chronologique nous invite à rebrousser chemin pour repérer les anciens infrasignes préfigurant les signes majeurs d’aujourd’hui, elle nous invite donc à opérer le chemin inverse en tentant de repérer les infrasignes d’aujourd’hui pour en imaginer des tendances futures probables (mais souvent très incertaines). La pratique de l’anticipation, à nos yeux, ne doit pourtant pas se réduire à cette seule perspective historique, rétrospective dont le pendant prédictif est la prospective (les deux étant inévitablement rivés au point 0 du temps : le présent). Elle doit aussi se jouer dans l’immanence même de l’invention qui est, toujours, innovation. Ces deux moments habituellement séparés, invention d’abord puis innovation, sont peut-être aujourd’hui de plus en plus imbriqués, comme si la ligne temporelle se pliait sur elle-même. On le voit par exemple dans de nombreux exemples issus de ce qui est nommé le « web2.0 », où les temps de l’invention et de l’innovation coïncident avec les risques assumés par les acteurs (rappelons-nous du débat récent au sujet des innovations liés à la publicité des « réseaux sociaux » de FaceBook).
De plus, il y a toujours du différé (et donc du virtuel) dans toute création, même si, paradoxalement elle est aussi toujours immanence, actualité. Il y a donc simultanéité partielle des fonctions de novation et d’innovation, autrefois segmentées dans le temps, et, dans le même temps, du différé dans cette activité immanente, avec des effets futurs qui ne sont pas nécessairement prédits par le système. (4)

Dans la littérature des sciences sociales, on entend traditionnellement par « innovation » la mise sur le marché d’une invention. C’est une définition qui nous provient des économistes, trop réductrice. Dans le monde de l’art et du design (nous en reviendrons à la recherche juste après), le temps de l’invention coïncide souvent, et depuis très longtemps, avec sa mise en expérimentation publique, avec son innovation. Les deux phases ne peuvent se désolidariser l’une de l’autre car les artistes et les designers ont l’impérieuse nécessité de créer des formes singulières (non consensuelles) le plus largement expérimentables (le disensus comme consensus problématisé et donc partageable). Il y a bien une phase de création ou de conception « en laboratoire » (sur papier ou dans un lieu isolé : un bureau, un atelier, un cerveau…), mais elle est tellement proche du moment de l’expérimentation publique qu’elle participe de la même phase, et parfois s’y épanouit simultanément (notamment dans l’activité de la performance artistique).
Lorsqu’un artiste répond à une commande (même la plus ouverte) pour exposer dans un lieu et à un moment donnés, il sait qu’il doit montrer avant même de savoir ce qu’il produira vraiment (que ce soit un objet, un environnement, une performance…), tandis que la recherche aura traditionnellement une forte réticence à s’exposer avant d’avoir procédé en amont à des études, des tests et autres méthodes préparant l’innovation.

La monstration (dans son sens le plus actif : l’expérimentation) est une condition intrinsèque à la création en art et en design, avec les limites propres à chacun de ces domaines que l’artiste et le designer interrogeront à leur manière. Par contre, rares sont les chercheurs scientifiques à s’engager à exposer leurs résultats sans les connaître au préalable. C’est une des différences entre, d’un côté, le designer et l’artiste (même si ceux-ci veulent que leur dispositif « fonctionne »), et, de l’autre, les chercheurs : la prise de risque plus ou moins grande dans la mise en expérimentation publique. La qualité du public étant elle aussi différente : les artistes et les designers se confrontent d’emblée à un public plus large que celui des chercheurs, ces derniers étant par nature plus confinés à un public d’initiés. Une autre différence est la question des registres de droits d’auteur (symboliques et / ou juridiques), avec une différence notable entre la publication ou la monstration d’un résultat scientifique qui peut être brevetable (et par conséquent non diffusable avant la fin du brevetage), et l’exposition de dispositifs qui relèvent plutôt du « dépôt de formes », du « droit d’auteur » ou plus simplement de la reconnaissance symbolique qui se satisfait pleinement d’une exposition publique sans aucun droits commerciaux.

Tout dépend du domaine dans lequel on se place, et du choix du régime autorial dont on souhaite dépendre. Imaginons une collaboration entre un designer et une entreprise de R&D : celui-ci aura tout à gagner à communiquer sans attendre dans une manifestation publique le résultat de la collaboration, tandis que celle-ci aura plutôt tendance à freiner ce stade de publicité en vue de protéger le résultat par un éventuel brevet. Il y a souvent négociation entre les deux point-de-vues pour évaluer le degré de visibilité : montrer assez pour valoriser la forme, et ne pas trop en montrer pour garder secrète la partie brevetable. Aujourd’hui, les deux pressions contradictoires tendent à augmenter simultanément : d’un côté une compétition accrue entre les entreprises (avec leurs portefeuilles de brevets nécessaires pour exister sur le marché mondial), et de l’autre la nécessité croissante d’être très réactif et de « marquer » les innovations en montrant très vite (en étant très présent dans tous les réseaux sociaux eux aussi mondiaux).
Cette double injonction contradictoire (une de plus) montre que le régime temporel de l’innovation a changé : nous ne sommes plus dans un modèle purement chronologique (avec une recherche fondamentale puis progressivement applicative), ni dans un schéma vertical (avec des inventeurs en amont, puis de l’innovation en aval), ni dans un déroulement séquencé (avec une recherche secrète puis une présentation publique). Dans le même temps, les frontières se brouillent aussi dans les attentes et les objectifs des acteurs et actants de l’innovation. Artistes, chercheurs et designers peuvent souhaiter s’insérer dans des dynamiques différentes (voire opposées), suivant les projets, suivant les objectifs et suivant les contextes : des artistes peuvent par exemple s’inscrire dans une dynamique de droit d’auteur tandis que les chercheurs peuvent contribuer à des développements en « open source », ou vice versa.

Les projets entre artistes, designers et chercheurs, doivent donc être profilés de manière toujours singulière, presque unique, en prenant en compte, non pas seulement les objectifs traditionnels de chacun des domaines auxquels ils son rattachés mais suivant le cas précis du projet lui-même. Il faut prôner, non pas une seule méthode de l’interdisciplinarité, mais une casuistique des processus hétérogènes. Les temporalités doivent donc être, elles aussi, modulables (et éventuellement démodulables pendant le processus) selon les objectifs du projet, selon les acteurs qui y contribuent. Il faut un terrain commun (nous l’avons vu partiellement avec la création de problèmes comme moteur de l’innovation) et, dans le même temps, il y a nécessité de laisser jouer des registres de temporalités propres aux acteurs engagés. Non seulement le temps de création d’un artiste, celui d’un chercheur et celui d’un designer différent les uns des autres, mais ils diffèrent aussi selon les personnes, les structures, les moments, les opportunités, les thèmes traités…

D’où la nécessite de délinéariser les processus, au moins à deux niveaux : en créant plusieurs lignes temporelles au sein d’un même projet, selon les attentes et objectifs des acteurs engagés (notamment sur les aspects de monstration qui dépendent selon les domaines) ; et en se défaisant du schéma linéaire et chronologique de l’anticipation pour privilégier un déphasage productif de valeurs différenciées, et donc valorisables et transférables dans des contextes hétérogènes, à des moments divers.
Cette délinéarisation suppose, pour pouvoir exister, un soutien institutionnel fort : la plasticité des processus et la variabilité assumée des interactions nécessitent une volonté puissante de contrebalancer la fragilité inhérente à ce type de projet, sans pour autant l’inhiber. La créativité du processus est intrinsèque autant à la recherche elle-même qu’à son inscription dans les organisations associées (R&D, écoles, universités, indépendants, etc.). Il faut en somme chercher la meilleure stabilité organisationnelle pour garantir l’instabilité fonctionnelle de la collaboration. Le « manager de projet » doit lui aussi examiner ses propres pratiques de manière critique et problématiser sans cesse ses savoir-faire…

Episode à suivre : 4. Hétérotopiser [Est]
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NOTES :

(1) http://www.troika.uk.com/sms-guerrilla-projector.htm

(2) Prototype de Texas Instrument détaillé : http://popsci.typepad.com/popsci/2007/09/dont-publish-a-.html ; vidéo en ligne : http://www.prnewswire.com

(3) La notion de diagramme n’a rien à voir avec l’idée d’un schéma global, d’une superstructure ou d’une infrastructure quelconque, nous utilisons cette notion dans le sens où Gilles Deleuze l’a défini dans son ouvrage consacré à Michel Foucault, et dont voici un extrait : le diagramme, « c’est la présentation des rapports de forces propres à une formation ; c’est la répartition des pouvoirs d’affecter et des pouvoirs d’être affectés ; c’est le brassage des pures fonctions non-formalisées et des pures matières non formées. […] C’est un « non-lieu », ce n’est qu’un lieu pour des mutations. […] On pourrait dire état de diagramme au lieu de diagramme. » (Deleuze, 1986, p. 41). Pour connaître l’utilisation particulière que nous faisons de cette notion, nous renvoyons le lecteur à un autre article consacré à l’art numérique et au design exploratoire (Mahé – Laudouar, 2007, « Résister contre les modèles de communication », in : actes du colloque H2PMT’03, Hammamet, Ed. Hermès, Paris).

(4) Cette imprédictibilité n’est d’ailleurs pas un défaut, elle fait partie d’une des fonctions du marché, de tous les types de marchés actuels.