Réalité Virtuelle •Tour d’horizon des tendances de Laval Virtual 2018

Cette année, Décalab était membre du jury de Recto Verso – Art & VR Gallery, l’exposition dédiée aux artistes internationaux qui utilisent la réalité virtuelle et mixte comme médium privilégié, première exposition de l’Art & VR Factory qui donnait à découvrir 14 artistes internationaux. Elle a pour objectif de créer un laboratoire, le Art & VR Lab qui permettra de proposer de la formation, des résidences, de la veille et de venir en appui des actions du Laval Center.  

Cette première édition a eu lieu du 03 au 08 avril dernier, pendant le salon Laval Virtual, 20eme édition du plus grand rendez-vous dédié à la Réalité Virtuelle et à la Réalité Augmentée en Europe.  

Petit tour d’horizon… 

• Les grandes tendances du salon et de l’exposition •

Du côté des technologies |

  • L’immersion électroacoustique et sonore avec spatialisation des sons.  

L’expérience immersive Near Dante Experienceune production de la formidable artiste Laura Mannelli et de Art Zoyd utilise le processus créatif du jeu vidéo avec une composition électro-acoustique de Gérard Hourbette*. 

Inspirée de l’Enfer de Dante et de ses trois paliers Inferno-Purgatorio-Paradiso, l’expérience fait référence à l’expérience de mort imminente (Near Death Experience). La composition forme une géographie sonore qui aide le « voyageur » à errer dans les ténèbres en nous plongeant dans un état de conscience altéré.  

Lecture singulière d’un monument de la littérature et de la question de la corporéité dont le concept même est remis en cause par le transhumanisme.  

 

Lien vers le projet N.D.E ( Near Dante Experience) : www.artzoyd.net/n-d-e-near-dante-experience/ 

 *Gérard Hourbette, Décédé le 4 mai 2018,  à qui nous rendons hommage. 

 


  • Les avatars de forme humanoïde versus les clones digitaux ultra réalistes 

La startup française Exsens développe une cabine permettant de modéliser le corps humain en trois dimensions en quelques minutes. Le corps est reproduit avec une fidélité de l’ordre de moins de 1 millimètre. L’objectif ? Faire un essayage virtuel de vêtements, assurer le suivi morphologique dans le cadre des activités fitness, offrir des outils pour la chirurgie esthétique… 

Un marché économique qui pèserait 25 milliards de dollars en Europe et aux Etats-Unis grâce à la fonction d’intermédiation que ces technologies opèrent.  

 

Exsens – Meet your ego

Plus d’infos sur le projet : www.exsens.eu


  • L’archéologie des images vidéo et photo sur internet et la reconstitution d’espaces en 3D 

Le spatialmedia* de l’EnsADLab a développé une installation immersive de réalité virtuelle interactive, Roswell, Autopsie d’une controverse, basée sur la reconstitution photogrammétrique du laboratoire présumé où a été autopsié le fameux extraterrestre à partir d’archives filmiques trouvées sur internet.  

De l’humour mais aussi des travaux de recherche très sérieux puisque le projet a été réalisé  en partenariat avec Mikros Images/Technicolor et l’Agence Martienne. 

 

Installation ROSWELL: AUTOPSIE D’UNE CONTROVERSE – Spatial Media

 

*un groupe de recherche d’EnsadLab/PSL (Laboratoire de l’EnsAD, Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, Paris Sciences et Lettres) dédié à l’étude et au développement de pratiques artistiques dans les espaces numériques.   


  • La réalité augmentée au service de l’architecture et de l’Entertainment  

Les applications dans les secteurs de l’architecture et de l’aménagement d’intérieur sont vastes. Autre application moins convenue, l’escape game qui est en plein essor que ce soit pour de l’Entertainment pur ou pour de la formation comme le propose la startup Luxembourgeoise Firis.

La startup Firis, propose des escape game VR

Plus d’infos sur Firis : firis-system.com


 

  • La réalité virtuelle au service du secteur médical

Que ce soit pour aider des personnes ayant subi des traumatismes physiques à retrouver leur motricité en nageant avec des dauphins : thedolphinswimclub.com

Ou afin de réduire la douleur et le stress chez les personnes hospitalisées, nécessitant des interventions parfois très douloureuses et intrusives. 

Voir le projet que propose la startup Bliss, l’effet papillon : leffetpapillon.net


 La force du multidisciplinaire 

Avec le développement des technologies et de l’open innovation, le champ de la recherche s’étend aux collaborations multidisciplinaires. Elles se démultiplient entre universités, laboratoires de recherche et les artistes qui eux-mêmes interrogent leurs pratiques entre recherche et création. (Paris 8, Université de Savoie, EnsAD, etc.) 

 Les champs de la recherche 

  • Les nouvelles médiations, les nouvelles interfaces notamment celles qui donnent accès aux contenus et à l’information qui réinventent les formes que peut prendre le journalisme, le rapport au réel.  

VitRails du Collectif Continuum propose des entretiens avec des personnes migrantes arrivées en Grèce, consultables via l’installation qui fonctionne sur un principe de « reveal » : en plaçant notre main sur une surface enduite de peinture thermo réactive nous générons des « oeillets » par lesquels regarder et découvrir un espace ainsi que des personnages constitués de petites particules. On regrette que le dispositif technique ne soit pas encore tout à fait au point, notamment sur les aspects techniques (ex : la peinture thermo réactive ne réagit pas suffisamment au toucher) 

 

  • Les points de vues multiples sur un même objet, la spatialisation de l’information. 

 

  • Réinterroger la construction / déconstruction de l’image.  

 

  • La coprésence, l’embodiment 

 

Les enjeux de la VR se situent dans l’éducation, la santé, notamment pour former, sensibiliser, vivre des expériences à distance, entraîner, rééduquer, calmer.  

Notre rapport au corps s’en trouve questionné et par la même, renforcé. Ce sont d’autres modes relationnels avec la machine, notre propre corps, des corps virtuels, qui se mettent en place au travers des nouvelles interactions mises en place par les artistes. La question de l’incarnation mais aussi du corps autrement y est centrale, que ce soit pour vivre des expériences d’états altérés de conscience ou tout simplement pour interagir avec des entités virtuelles. 

 Ces nouvelles expériences et perceptions du corps sont intéressantes car en explorant les limites des interfaces, ainsi que des mondes virtuels que nous créons, nous continuons d’effectuer le travail d’individuation et à faire avancer la question de ce que veut dire être humain.   


Du côté des œuvres |

14 œuvres étaient proposées dans le IN. Beaucoup d’œuvres d’artistes pionniers dans le numérique qui revisitent la réalité virtuelle comme Julio et Juan Le ParcCatherine Ikam.  

L’ensemble de la scénographie sur les 300m2 d’espace avait une allure foraine, très certainement pour renforcer l’effet de perdurance de la magie dans les technologies d’aujourd’hui.  

Judith Guez, la créatrice de cet événement a d’ailleurs écrit sa thèse sur le sujet des illusions entre le réel et le virtuel (VR), les questions de présence et d’émerveillement.  

Première édition, l’exposition présentait aux côtés d’artistes confirmés, un grand nombre de prototypes et de projets de recherche réalisés par des étudiants.  

On peut regretter que les aspects expérientiels des oeuvres prennent souvent le pas sur un véritable concept et la démarche artistique. Difficile de sortir du protocole technologique et scientifique de la VR ! 

 

Hybrid Sensorium – SAINT MACHINE 

Hybrid Sensorium explore la façon dont nous sentons notre corps dans l’espace physique et les illusions sensorielles causées par la médiation de la technologie et le contact direct à l’oeuvre. Le visiteur devient totalement vulnérable à l’émotion générée par le contact avec la structure artificielle, une membrane qui veut conditionner nos besoins biologiques dans un rituel d’alimentation osmotique. Vous pouvez interagir avec la membrane en insérant votre tête dans son orifice. La cavité répond en temps réel à votre rythme respiratoire, en essayant de l’adapter à ses besoins, tandis que le visiteur essoufflé entre dans un cycle d’émotions sensorielles très peu maitrisées. Une installation intéressante et troublante, que ce soit dans sa forme esthétique ainsi que dans l’interaction qu’elle propose. 

 ART AVATAR : Interface with Virtual Mirror – Pia MYrvoLD  

L’artiste traite des questions d’interfaces artistiques au travers du code et du programme pour construire une nouvelle valeur culturelle et un nouveau rapport à l’œuvre. Elle y traite de la VR et des avatars comme mode de compréhension et d’exploration. Dans son travail, Pia MYrvoLD ne cesse de s’intéresser aux images de l’altérité. Au 20eme siècle, on parle d’un corps-image soumis aux lois de la consommation. Au 21eme siècle, avec le développement des nouvelles technologies, les avatars (artefacts) se multiplient et montrent dans le même temps un corps réel et un corps utopique en 3D créant ainsi des esthétiques nouvelles.  

Son œuvre fait aussi référence au livre « le moi-peau » de Didier Anzieu qui analyse cette peau intime, ce terrain de l’inter-sensorialité, cette frontière entre intérieur et extérieur,  où l’être « n’est pas seulement un être de surface mais il est la projection d’une surface ». L’avatar étant cette surface qui permet l’exploration de formes nouvelles.  

ART AVATAR – Pia MYrvoLD

 À voir aussi  le projet « female interfaces » de Pia MYrvolLD :  pia-myrvold.com

 

A#3 MOTU – Gwendaline Bachini 

L’expérience commence lorsque le médiateur nous équipe du casque et des manettes, on apprend à se téléporter sur la plate-forme grâce aux manettes.  

Il y a dans l’esthétique proposée par Gwendaline Bachini une relation à Second Life, notamment dans la rencontre entre le spectateur et les deux danseurs virtuels et l’environnement virtuel proposé. 

Il y a cependant une étrange intimité qui se crée avec ces danseurs malgré cet environnement virtuel et abstrait (la plateforme blanche, l’eau et les nuages environnants) de part leur nudité, ainsi que par le mode d’interaction qui nous ait proposé par le touché. La chorégraphe travaille sur ce projet avec les laboratoires de recherche I3M laboratoire, KINOVIS (INRIA Grenoble) qui ont permis un réalisme poussé des danseurs scannés via un processus de vidéo 4D, les avatars ultra réalistes versus les animaux totems qui représentent les deux participants dans l’espace virtuel.
Le réel intérêt du projet réside dans le corps dansé et l’inversion en miroir des corps, plutôt que dans l’environnement. L’interaction entre le participant et le danseur via le geste chorégraphique virtuel nourrit le comportement et les réponses des deux danseurs au fil des expériences pour nourrir une certaine idée évolutionniste des environnements virtuels. Ce monde garde donc la trace de chaque interaction et celle-ci le fait évoluer d’une manière particulière, du génératif vers le particulier. La chorégraphe se pose la question du cadre et de la contrainte technologique qu’elle impose à ses danseurs…jusqu’où aller dans l’instrumentalisation et la mécanisation de leur mouvement ? 

A#3 MOTU – Gwendaline Bachini

Plus d’infos sur Gwendaline Bachini : gwendalinebachini.com

 

Être en apesanteur – Chu-Yin Chen, Swann Martinez  

Les artistes ont travaillé avec un groupe multidisciplinaire issu du cirque et du spectacle vivant sur le corps en absence de gravité. Le corps est placé sur une balançoire. L’oeuvre associe cirque, image, son, création numérique et textile autour du corps comme médium afin de questionner les relations corps réel et projeté. 

Plus qu’une œuvre, c’est une restitution de workshop du Labex H2h corps infini avec la chorégraphe Kitsou Dubois et l’ENS Louis-Lumière en collaboration avec l’Académie Fratellini et la Compagnie Ki production.  

Plus d’infos sur le projet : lecorpsinfini.labex-arts-h2h.fr 

 

Numerica – Julien Lomet 

Julien Lomet, photographe de formation, s’intéresse au trompe-l’œil hollandais du 17eme siècle. De la tromperie il y en a dans la réalité virtuelle… dans la bascule cognitive réel virtuel, dans l’appréhension immersive de l’œuvre.  

Julien Lomet a pour habitude de travailler ses photos via les outils numériques du type Photoshop pour se rapprocher d’un rendu pictural. C’est comme cela qu’il s’est intéressé à la VR, par la recherche de l’interaction avec les natures mortes qu’il propose,  proches du principe d’ultra-réalisme.  Il s’agit de rentrer dans la toile pour interagir avec les différents objets de la composition via des réactions sonores notamment. On se retrouve entourés d’un environnement fantastique et complètement virtuel, qui semble interagir avec les manipulations que l’on fait sur les objets. 

Numerica - Julien Lomet

Numerica – Julien Lomet

Plus d’infos sur Julien Lomet : julien-giu.wixsite.com 


 Pour aller plus loin :

• Lire notre article Faire Laboratoire, publié dans le catalogue de l’exposition ART/VR. Recto Verso de Laval Virtual 2018 •