The big picture, Ars Electronica 2012

Ars Electronica est une structure basée à Linz en Autriche et fondée en 1979 autour d’un festival pour l’art, la technologie et la société l’International Bruckner festival. Herbert W.Franke est un de ses fondateurs. En 1986 , le Festival devient le festival Ars Electronica . Peter Weibel a été  directeur artistique jusqu’en 1995. Gerfried Stocker est, depuis plusieurs années,  le directeur d’Ars electronica.

En complément du festival, Ars Electronica s’est équipé d’un centre de ressources et de recherche ainsi que d’un musée du futur l’Ars Electronica Center ouvert depuis 1996 et qui est un véritable laboratoire des dernières technologies.

Créé en 1987, le prix Ars Electronica est dirigé par Christine Schöpf et l’artiste autrichien Gerfried Stocker.

Avec ses orientations spécifiques et son existence (et expérience) depuis 1979, Ars Electronica est l’unique  plate-forme internationale dédiée à l’art électronique et aux nouveaux médias (et technologies) composée de quatre entités :

  • Ars Electronica – Festival pour l’ Art, Technologie and Société
  • Prix Ars Electronica –Compétition internationale CyberArts
  • Ars Electronica Center – Musée du Futur
  • Ars Electronica Futurelab – Laboratoire d’innovations  (Source Wikipédia)

 

Unique en son genre lors de sa création en 1979, il est devenu une référence mondiale dans le domaine de l’art et du design exploratoire en lien avec les sciences et les technologies.

La cible est double : une cible internationale de spécialistes du domaine des arts numériques élargie aux professionnels de l’innovation non-spécialistes de l’art ; et un public culturel régional (Autriche et Allemagne). Cette combinaison fait de cette manifestation un événement unique en son genre puisqu’on peut voir les utilisateurs non spécialistes utiliser des interfaces innovantes. Nous ne sommes pas dans un salon entre professionnels, le public est mixte.

il regroupe un festival, un centre de recherche (Ars Electronica FutureLab) et depuis 1996 un musée du futur (Ars electronica center Museum of the future). Il se distingue par un appui des industriels qui nouent des partenariats technologiques et de recherche avec AEC depuis sa création.

Véritable référence en Europe des nouvelles technologies et de l’art et  du design numérique, le rendez-vous du festival 1er WE de septembre est un moment fort pour capter les tendances de notre monde d’aujourd’hui et de demain.  

Pendant 5 jours, expositions, performances, concerts, conférences et films se déploient dans toute la ville.

Une année 2012 intitulée Big Picture. Une image de l’instantané, de la fragmentation de notre monde… Cette image pourrait sembler réductrice avec comme un goût de déjà vu mais elle s’étend au-delà de ses premières interprétations. Elle semble vouloir s’inscrire dans l’histoire des représentations du monde, physique et aujourd’hui virtuel et aussi inscrire  cette révolution numérique comme une révolution complète de la société .

Les images flux d’informations, cartographies du monde et du cosmos, et les données qui fragmentent et multiplient notre vision du monde se mêlent en un gigantesque puzzle.

Data et design, visualisations et interprétations de l’intérieur de nos cerveaux seront les « stars » du festival.

Cette année, les expositions se rapprochent singulièrement de l’art contemporain et rendent plus floues les frontières (fictives) entre arts numériques et art contemporain.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si  Hannes Leopoldseder, le fondateur du festival,  fait référence à Damien Hirst dans son introduction à CyberArts, plus particulièrement à l’œuvre de Damien Hirst : anthraquinone-1-Diazonium chloride.

Flux des données, flux de l’actu,  mondialisation,  piratage, surveillance versus  partage, cartographies, visualisation, design, cloud, cosmos…mémoire mais aussi bricolage, partage

Pour raconter cette édition 2012, il faut commencer peut-être par le projet open cloud du festival, véritable projet participatif du festival

Ce projet open cloud « en allemand Klangwolke » 2012 ne pouvait pas être uniquement spectaculaire mais s’affiche comme un laboratoire de partage entre citoyens.

Cet open cloud projet fait aussi un clin d’œil (et plus qu’un clin d’œil puisqu’il donne à voir dans l’échelle de temps les métamorphoses du monde numérique aussi) à la 1ere édition du festival 1979, il y a 33 ans qui présentait  le 1er Cloud of sound , un open air multimédia musical event  où le public pouvait déjà intervenir .

Spectacle sur le Danube, recherche et développement, open cloud (Klangwolke) ABC…le projet habillera Linz et ses habitants le temps du festival.

Le « Klangwolke ABC », s’approprie, voire se  réapproprie la(es) lettre(s) de l’alphabet, le(s) mot(s) dans un geste créatif et coloré pour contrer leur pouvoir suprême sur google, facebook , twitter, ..

Chacun crée son propre alphabet connecté (radio fréquences, LEDS, partagé sur le Charakter book (un micro facebook) ) et l’affiche de manière brute et colorée dans la ville.

L’idée est aussi de créer la big picture (thématique principale de ce festival 2012)  de l’événement grâce au partage des photos, vidéos de tous les participants au festival.

http://www.flickr.com/photos/arselectronica/7911978706/

Comment représenter le monde d’aujourd’hui et sa complexité ? se défaire des schémas pré-conçus et en inventer d’autres , c’est le pari de cette édition 2012.

On retrouve dans cette édition des paris optimistes et une vision du monde plus inquiétante marquée par l’actualité  :  visualisation des radiations après l’accident de Fukushima.(« the big picture of 3.11 »)et bien sûr aussi un hommage aux formes de  rébellion non violente dans le monde et à leur créativité.

Est-il réussi ?

On peut regretter cette année un cru plutôt consensuel au 1er abord , mais cette sensation est vite dépassée pour apprécier une création plutôt expérimentale mais pointue, se révélant émotionnellement souvent forte, et souvent ludique.

Se retrouver assis sur un bidet en pneu pour générer des sons, démanteler un puzzle géant pour découvrir l’ampleur des informations livrées sur facebook , générer sa propre BD , toutes les expériences sont possibles voire souhaitables.

 

Le son avait une place exceptionnelle dans cette édition , porté par les créations des étudiants, issus pour beaucoup de l‘Université des Arts de Berlin. De nombreuses installations utilisaient un matériel low tech notamment par les matériaux utilisés,  avec pourtant une expertise extrêmement pointue du son et de ses fluctuations.

Peu d’œuvres spectaculaires (mais l’époque ne s’y prête guère) hormis quelques installations majeures dont l’œuvre « desire codes » de Seiko Mikami, la guest invitée du festival 2012.

Cette œuvre interpelle sur les relations ambigües entre notre corps (de données) dans le monde matériel par rapport à notre corps physique dans le monde réel.

Elle est constituée d’un mur blanc composé de 90 petits robots comme de petits bras armés, et d’une autre salle plongée dans le noir avec 6 grandes armes robotiques équipées de vidéos caméras et de projecteurs lasers. Un écran composé de plusieurs fractales comme l’œil d’un insecte renvoie les images collectées. C’est une nouvelle réalité qui nous apparait donnant une visibilité toute particulière aux détails de notre corps : yeux, bouches mais aussi nos objets comme nos sacs par exemple. Un écran d’ordinateur nous donne aussi à voir l’envers du décor, détaille  les bases de données nécessaires au projet.

les réseaux sociaux (facebook, twitter) et donc notre propre identité, surveillée ou pas, ont inspiré des œuvres fortes et généré troubles et questionnements sur ce que l’on trouve sur notre propre identité sur internet.

« Europe versus facebook » est un puzzle géant  d’un corps humain (ici celui de l’artiste) dont chaque pièce évoque les informations collectées via facebook concernant son activité d’individu, de citoyen et de consommateur.

Même si nous nous doutons du nombre d’informations collectées, les voir ainsi déployées par le morcellement de notre propre corps nous renvoie à cette inquiétante vision d’un individu décrypté jusque dans sa propre intimité.

Les installations proposées à l’Ars electronica center dans l’espace « out of control » nous interrogent sur notre identité surveillée mais aussi sciemment mise en visibilité par nos propres choix, sur les frontières (ou pas) de ce qui est public et de ce qui est (ou pas) de l’ordre de l’intime.

Caméras, réseaux sociaux, législation des télécommunications,  tout est cartographié, décrypté…

Dans les espaces dédiés à la robotique et à la génétique, s’affiche cette modernité de l’être humain qui n’accepte plus la fatalité et l’immuabilité des données génétiques.

Le cadre de la ville de Linz se prête bien à ces quelques jours de festival. Tous les lieux se visitent à pied et on admire le mariage réussi de cette petite ville baroque et de ses infrastructures culturelles et contemporaines.

De l’Ars Electronica Center, on se dirige vers le  ÖK Zentrum où l’édition Cyberarts 2012 se déploie mêlant travaux expérimentaux, films d’animation, installations.

« Memopol-2 » est une installation aux faux airs de SF de l’ère de la guerre froide par le biais de l’esthétique d’un grand écran de visualisation de nos données. Vous déposez votre carte d’identité ou passeport et s’affichent de multiples informations sur votre vie, politique, sexuelle…l’installation pousse le vice à voir inscrite la date de votre propre mort… se mêlent surveillance et voyance dans la même œuvre…

On croise l’artiste Joe Davis qui expose dans la catégorie art hybride où se mêlent science et ingénierie. Joe Davis est un chercheur du département de biologie du MIT et travaille aussi dans le laboratoire de George Huch à la Harvard Medical School.

Artiste hybride lui aussi, ses travaux de recherche et de l’art comprennent des activités dans les domaines de la biologie moléculaire , la bioinformatique , « art de l’espace», et la sculpture, l’utilisation des médias, y compris, mais sans s’y limiter, les centrifugeuses , les radios, les prothèses , les champs magnétiques et génétique des matériaux.

« Bacterial radio », « call me ishmael », ses œuvres sont fortes et lient étroitement science, technologies  et nature.

 

L’artiste Golan Levin présente avec Shawn Sims (collectif Free Art Technology) un jeu de construction adapté à 10 jeux existants . Provocation contre l’hégémonie de certaines marques, cette œuvre milite pour l’open source et une culture populaire. La croissance des Fablabs va dans cette direction aussi en permettant à chaque citoyen de créer d’imprimer ses propres pièces grâce aux imprimantes 3D.

Le cosmos est à l’honneur aussi avec une œuvre extrêmement poétique de l’artiste Agnes Meyer-Brandis. « Moon Goose analogue : Lunar migration bird facility ». Des oiseaux vivent l’entrainement des cosmonautes pour aller sur la lune…

Les oeuvres présentées à CyberArts dénotent un travail extrêmement rigoureux autant au niveau des nouvelles technologies que de la beauté des installations et de leur imagination. Mêlant interrogations sur notre identité, sur la nature de l’être humain, sur la nature elle-même, sur la naissance d’un homme et d’une nature hybride. A voir aussi l’œuvre de Jalila Essaïdi, jeune bio-artiste qui travaille sur notre corps organique et ces transformations possibles ou impossibles, comme cette peau humaine travaillée avec de la soie fabriquée par les araignées pour arrêter les balles…

Les films d’animation sont aussi de petits joyaux de créativité comme ce remake de fenêtre sur cour vu d’un seul angle (celui du « voyeur »)par Jeff Desom.

http://prix2012.aec.at/prixwinner/7748/

Cauchemar pour certains, rêve pour d’autres…les artistes donnent à voir le monde et l’interrogent pour nous proposer d’autres clés pour inventer demain. Petite synthèse pour une programmation tellement plus vaste, on retiendra de cette édition une multiplication de nouvelles pistes de visualisation du monde et de l’homme et des données qui traversent le monde virtuel et physique…des croisements hybrides entre sciences, technologies et  nature.

Le designer prend une place prépondérante dans la création de ces nouvelles images (du monde, du cerveau) auprès des artistes, d’où une hybridation aussi des profils d’ingénieurs, chercheurs, designers, artistes…

L’homme a besoin de rendre visible ce monde de l’invisible en créant de nouvelles images et de nouvelles manières de mesurer, peser, analyser un monde virtuel qui semble immesurable. C’est ce qui frappe le plus dans cette édition 2012.

On est loin du bidouillage, les bricolages sont ingénieux et pointus, pas de spectaculaire mais des travaux extrêmement brillants et nous demandant à nous spectateurs du temps et de l’écoute…

 

Liens :

http://www.damienhirst.com/anthraquinone-1-diazonium-chlo