Se pousser du coude ? une nouvelle forme de gouvernance ?, par Natacha Seignolles

 

Ce billet inaugure une nouvelle rubrique :  Innovation politique. Les connaissances en sciences humaines et les évolutions technologiques influencent considérablement la vie politique. C’est donc bien d’innovation dont on va parler. Il sera question de sciences humaines, de vie numérique et aussi du regard des artistes posé sur nos systèmes politiques.

La tendance Nudge

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Nous sommes au mois de janvier et c’est le mois des bonnes résolutions.  Nous les écrivons, les mémorisons, tout en sachant que peu seront mises en place d’ici 2012. Parce que nous sommes des êtres émotionnels bien avant d’être des êtres rationnels.

Alors pour nous pousser à aller plus loin, à tout doucement changer nos comportements, il y a la recette Nudge (littéralement pousser du coude) proposée par Richard Thaler professeur d’économie comportementale à l’université de Chicago et Cass Sunstein, professeur de droit dans la même Université.

Dans leur livre « Nudge, la méthode douce pour inspirer la nouvelle décision » de 2009,  les auteurs proposent de multiples solutions pour améliorer notre maitrise de soi.

Mais au-delà de ces solutions individuelles, ce sont bien sûr les applications collectives qui sont intéressantes.

Les auteurs décrivent leur concept par une expression  :  « paternalisme libertarien », système qu’ils définissent comme « une version relativement modérée, souple et non envahissante de paternalisme, qui n’interdit rien et ne restreint les options de personne ; une approche philosophique de la gouvernance, publique ou privée, qui vise à aider les hommes à prendre des décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la liberté des autres ».

 Il s’agit d’une troisième voie pour les Etats-Unis entre démocrates et républicains qui cherche à guider les gens sous le chapeau de la bienveillance en termes de protection environnementale, de santé et d’éducation, tout en limitant les contraintes, obligations et interdictions gouvernementales auxquelles les nudges viennent se substituer.

En gros il s’agit de prendre en compte le facteur d’irrationalité dans le champ de l’économie et dans le quotidien cela se traduit par des solutions qui  permettent aux individus d’avoir le choix sans leur imposer des décisions imposées.

Dans le domaine de l’économie d’énergie, c’est par exemple l’ambient orb, une petite boule lumineuse qui vire au rouge dés que l’on consomme trop et qui éclaire d’une jolie douce couleur verte dés que l’on consomme moins. Southern california Edison a tenté cette expérience après avoir tenté la manière forte, sans jamais avoir vu de résultats : envoi de mails et SMS à ses abonnés pour les informer sur leur consommation d’électricité. Avec cette petite sphère, ce sont 40% de consommation d’électricité en moins constatée.

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Encore plus ludique, les petites mouches noires au fond des urinoirs dans les toilettes des hommes de l’aéroport d’Amsterdam. Résultat 80% d’éclaboussures en moins…

On peut imaginer des tas de solutions parmi lesquelles une qui séduit la mère que je suis : aménager les cantines de nos enfants afin de les inciter à manger des fruits.

Les politiques publiques peuvent donc jouer sur le côté passif des individus en mettant en place  les options par défaut qui les poussent à prendre des décisions plus avantageuses pour la société.

Le cadrage (en anglais framing) est également un nudge efficace. Il s’agit de guider la pensée par l’utilisation du langage. Dans son livre Don’t Think of an Elephant (2004), le linguiste cognitif Georges Lakoff montrait déjà que cette technique était très utilisée par les conservateurs américains et qu’il était temps que les Démocrates adoptent aussi  leur système de métaphores conceptuelles pour avoir de nouveau prise sur les termes du débat politique . Ce qu’a fait largement Obama lors de sa campagne électorale pour les présidentielles.

Pour la petite histoire, pour la naissance de cette « méthode » ou « doctrine » du paternalisme libertarien, Richard Thaler s’est appuyé sur les travaux de Daniel Kahneman qui travaillait en 1995 pour l’armée israélienne en tant que psychologue. Pendant plus de dix ans, en collaboration avec le psychologue Amos Tversky, il a dressé une typologie des différentes erreurs cognitives que les humains commettent de manière systématique : l’illusion du bien-fondé.

Notes:

Economie comportementale :  associe les connaissances de la psychologie et du comportement humain à la science économique.

Le livre : « Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision »Editions Vuibert, 277p., 22 ,50€

Le blog en anglais des auteurs : http://www.nudges.org

Lire aussi le très bon article de Emilie Frenkiel sur La Vie des Idées http://www.laviedesidees.fr/Nudge-ou-le-paternalisme.html