Murakami au château des merveilles, épisode 3 : La Murakamiquantique, une nouvel art, par Emmanuel Mahé

 

Feuilleton-critique en 7 épisodes sur l’exposition de Murakami au Château de Versailles (informations et liens plus bas). En épilogue Décalab vous proposera : « Murakami : une tool box à innovation ?


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Le soleil et Versailles sont liés : à l’époque du Grand Louis, la France a traversé une grave période de froid (et donc de famine) provoquée par des tâches solaires. Il aura fallu que le soleil soit froid pour qu’un roi s’en saisisse. Ainsi est né le Roi Soleil supplanté aujourd’hui, temporairement, par la double figure murakamienne – cf visuel de « Oval Budha » dans l’épisode 3 – : le souriant visage de notre société protectrice contemporaine (presque maternelle avec « big mother » nous entourant de son cocon protecteur numérique et juridique) et la grimace diabolique de cette même société qui nous ordonne la fuite (la violence actuelle de la société globalitaire). C’est un duble-bind comme l’énonce Paul Virilio : le progrès (technique, social, etc.) produit simultanément le progrès de la catastrophe.

Pour ne pas s’enfermer dans le catastrophisme (je suis pour ma part un optimiste radical), ajoutons que toutes formes (technologiques, sociales, juridiques…) sont le résultat de leur double identité, positive et négative (à ne pas confondre avec la dialectique du XIXème siècle). Cette double face (symbolisée par cette tête monstrueuse au bi-visage) n’est pas celui de la Commedia dell ‘Arte (« tu pleures, tu ris ») mais celui du progrès contemporain : je ne ris pas des pleurs des autres ou vice versa, je pleure et ris en même temps. Ce ne sont plus deux états avec le choix de l’alternative, c’est un état particulier qui ressemble un peu à cette curieuse et contre-intuitive science quantique : je peux être ici et là-bas simultanément à la condition express que ce « je » (une particule repérable dans un espace classique) n’existe plus, comme dilué par l’équation statistique.

Le double-visage murakamien est en réalité unique : il est lui aussi les deux états à la fois. Et comme on ne peut le localiser de manière précise, autant le mettre à l’ancienne place symbolique du roi (ou alors le dupliquer à l’infini comme les fleurs de Murakami). Il est posé à cet endroit central mais il est en réalité comme un individu en cours de « dividualisation » (1), son corps indivisible et localisable laissant la place à un halo incertain qu’on ne pourrait plus positionner. L’oeuvre n’émet donc pas un seul « rayon laser » mais illumine l’espace tout entier des jardins, sans centre vraiment, même si notre réalité physique doit lui en attribuer un par défaut (c’est un biais).

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Elle n’est finalement pas là où on croit la voir physiquement, elle est l’ensemble de toutes ses positions possibles dans les jardins : c’est une nouvelle Lumière. Un soleil en chasse un autre. En attendant une prochaine éclipse…

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Apollon peut toujours courir après l’ancien soleil qu’il prenait pour cible – visuel ci-dessus. Celui-ci, le nôtre, le nouveau « soleil » , est volatile (un peu comme un gaz) et ne peut plus être pris pour cible puisqu’il n’a plus de trajectoire. Il est partout et nul part mais bien réel. Ou alors il faudrait qu’Apollon lui aussi s’atmosphérise, se pulvérise en nuage (je vous mets en garde, si vous attentez à l’ensemble sculptural représentant Apollon comme cela s’avère être souvent le cas lorsque quelques téméraires touristes nagent jusqu’à lui pour l’escalader, vous vous exposez aux foudres non pas de Jupiter mais de la Conservatrice en Chef du Domaine de Versailles, bien plus redoutable que tous les dieux de l’Antiquité réunis, c’est le charme désuet – mais bien opérant – de l’ordre disciplinaire de nos écoles françaises de conservation).

 

Comme vous le constatez, c’est un blog, je me laisse donc divaguer un peu et me laisse aller à des digressions au risque de vous perdre (comme on se perd dans le labyrinthe des jardins baroques) : je m’essaie au funambulisme (2).

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Visuel (4)

(à suivre)

Notes :

(1) Je fais allusion à un texte de Deleuze paru dans son ouvrage « Pourparlers » où il nos explique que nous passons d’un mode d’individuation au mode contemporain du dividuel : nous ne serions plus des individus mais des bases de données… J’y reviendrai plus précisément dans l’épilogue consacré à la manière dont décalab peut se servir de concepts et de percepts pour innover autrement que par les brainstormings (qui rendent plus idiot qu’intelligent) et par les autres méthodes classiques de la prospective et de l’analyse rationnelle des veilles technologiques.

(2) Photographie de Jean-Claude Lafarge (http://www.jeanclaudelafarge.fr/chateau-versailles.html)

(3) En réponse au post de « Sagittaire » lisible ici : ………..

(4) Photographie de Cédric Delsaux

Informations et liens :

Exposition de Takashi Murakami au château de Versailles, du 14 Septembre au 12 Décembre 2010, Grands Appartements et Galerie des Glaces, inclus dans le parcours de visite. Toutes les informations pratiques : http://www.chateauversailles.fr

Le site web de Murakami : http://www.takashimurakami.com/

La page wikipedia sur Murakami :http://fr.wikipedia.org/wiki/Takashi_Murakami