« Mon robot, ma famille et moi »

#Consommation #Juridique #protection des données #Innovation #mème #corps-trace # innovation de rupture

Journée d’études autour de l’acceptabilité des robots au cœur de la famille. Pôle recherche Sciences Humaines Université Le Havre, 7 décembre 2017.
Le cadre d’intervention pour Décalab : les collaborations multidisciplinaires avec des artistes et des designers au coeur du laboratoire de recherche et de l’entreprise.
Plusieurs tables rondes pour un même objectif : constituer un groupe de recherche interdisciplinaire et étudier la place du robot dans les interactions familiales.
Cet article n’est pas une synthèse exhaustive mais une compilation et un point de vue à partir des interventions et échanges menés pendant cette journée entre chercheurs.es.

Touche pas à mes données

La faille des objets connectés c’est bien sûr la protection de nos données.

On l’a vu dernièrement avec la poupée Cayla et le robot-jouet I-Que produits par la société Hongkongaise Genesis Industries Limited, mise en demeure par la CNIL un an après la plainte déposée par l’association de consommateurs UFC-Que choisir.

Ces deux jouets connectés communiquent avec les enfants par un système de micros et d’un haut-parleur et sont reliés à Internet par une application mobile.

Après enquête, la CNIL a constaté que les jouets présentaient des défauts de sécurité avec la connexion possible de personnes extérieures via Bluetooth sans authentification préalable. La société collectait aussi les données auprès d’un prestataire hors de l’union européenne sans en informer les consommateurs.

On sent bien par cette anecdote les enjeux autour des données et de la sécurité des enfants.

En France, de nouvelles actions sont mises en place dans le cadre du projet de loi “Pour une république numérique” avec un durcissement de la protection des moins de 16 ans et un droit à l’effacement non conditionné pour les mineurs.

La mission Villani s’attaquera aussi aux questions d’éthique autour de l’Intelligence Artificielle.

Il est important que les citoyens comprennent les enjeux autour de ces questions et qu’il n’y ait pas de désengagement étatique dans un contexte où ce sont les acteurs qui parlent fort (donc les GAFA) qui définissent les règles d’éthique.

Même si le droit aujourd’hui est en capacité de répondre aux problématiques posées par la robotique et l’IA, il sera urgent de mettre en place des principes d’obligations de transparence, notamment pour la partie software.

Un nouveau compagnon au cœur de la famille

Les enquêtes autour du robot-compagnon sont parfois difficiles à mener. Les matériaux d’interaction, par faute de moyens matériels, sont parfois uniquement des vidéos et ne permettent pas de tester les usages de manière réelle. Sur cette journée d’études, les deux cas étaient présents : les interactions réelles avec le robot Nao en milieu muséal notamment, les enquêtes menées par Softbank avec Pepper, Nao et Romeo et les études en milieu familial à partir de matériaux audiovisuels, ici la vidéo du robot Buddy.

La représentation du robot-compagnon reste encore difficile à appréhender dans les familles, seulement 7% des enquêtés savent de quoi l’on parle quand on l’évoque.

Il est clair que l’usage des nouvelles technologies se fait souvent par antériorité d’usage. L’usage du smartphone et de ses apps facilitera l’entrée de nouveaux objets technologiques dans la famille.

Ce qui se dégage de ses enquêtes, c’est la notion de plaisir indispensable dans la relation avec le robot, qui découle peut-être de la forme humanoïde qu’on leur donne.

Le déclenchement de l’empathie reste primordial.

Pour les parents, la dimension éducative du robot prône mais se doit d’être associée au plaisir des enfants et par ricochet…des parents.

Dans la relation à trois, le parent, l’enfant et le robot (on note aussi ce fait quand le robot est à l’extérieur de la famille par exemple au cœur du musée) la contagion émotionnelle parent-jeune enfant est très forte.

Mais une chose est certaine les parents ne sont pas prêts à céder leurs tâches « affectives ».

Interactions générationnelles

Les interactions sont différentes selon que l’on se trouve en présence de jeunes enfants, d’adolescents ou de parents et seniors.

Les jeunes enfants sont souvent sensibles au côté magique et ludique du robot et ont tendance à lui obéir et à interagir de manière très émotionnelle avec le robot.

Les ados utilisent le smartphone pour « voir » le robot. Le smartphone devient l’interface de relation entre le robot et l’ado. Les ados détournent le rôle du robot, se l’approprient.

Dans le musée, le rôle de médiateur du robot fonctionne tout de même mieux avec les jeunes enfants qu’avec les ados.

Du côté des adultes parents, c’est nettement la contagion émotionnelle, dont je parlais plus haut, qui se met en oeuvre.

Les seniors sont sensibles aussi au côté magique mais rechignent à s’ « abandonner » au robot, ils ne souhaitent pas devenir dépendants du robot.

Par contre, aucune peur, aucun rejet technologique, ni chez des publics jeunes ni chez des adultes et une dimension hédonique dans la relation avec le robot primordiale pour toutes les populations !

Le robot plus mignon qu’un fauteuil roulant…

La réflexion autour des usages se mène du côté de l’éducation, des publics autistes ou auprès des personnes très âgées ou dépendantes physiquement.

Softbank défend le rôle du robot dans les fonctions d’assistant dans le domaine de l’éducation, le soutien cognitif des personnes âgées, les personnes autistes.

Dans le milieu scolaire et les fablabs, l’apprentissage des usages passe par la construction des robots avec les enfants, ou les adultes, on ouvre enfin la boîte noire.

Lors des échanges autour du genre du robot, un nom a été défendu par le représentant de Softbank le « familier ».

Ce nom est intéressant à plus d’un point car il touche le quotidien et dans le même temps la dimension magique de l’objet :

Le langage familier, c’est notre registre de langue utilisé dans la vie de tous les jours, dans les conversations non formelles. Le familier est un esprit, un animal accompagnant un sorcier.ère…Dans le jeu de rôle, un familier est une créature qui suit fidèlement le personnage et l’aide dans ses quêtes.

Et le sexe dans tout ça ?

Bien sûr, toute nouvelle technologie est de suite absorbée par l’industrie du sexe bien avant l’usage quotidien dans la famille.

Les poupées gonflables 3eme génération font leur apparition comme RoXXXy. On a même vu l’apparition de maisons de passe robotiques comme Lumidolls en Espagne.

Ici la ressemblance avec l’être humain reste primordiale au contraire du robot compagnon familial qui ne nécessite pas d’avoir une apparence humaine pour favoriser l’adoption.

Il est intéressant de noter que les technologies avancent mais pas le statut de la femme.

Le robot sexuel est soumis au désir des hommes et en a tous les clichés : la femme soumise, la femme douce, la femme dominatrice…

Perturbant aussi de voir que Sophia, IA féminine doté simplement d’un torse avec le crâne ouvert sur sa technologie, dispose, et revendique, plus de droits que la femme saoudienne dont elle a pourtant la même nationalité.

De nombreuses études démontrent que nos sexualités évoluent aussi avec les dispositifs technologiques. Reste à savoir pour quelles avancées et quelles humanités ?

Et demain…

Il est clair que les questionnements autour du robot qu’il soit humanoïde ou pas sont multiples et complexes : piratage, éthique, usage militaire, déresponsabilisation…

Cette journée d’études était essentiellement consacrée au robot-compagnon au coeur de la famille.

Un sujet passionnant pour la santé connectée, les realités dites mixtes (augmentée et virtuelle) pour nos engagements cognitifs, bien que la capacité technique et technologique d’aujourd’hui des robots ne répond pas encore au niveau d’attente des consommateurs.

Du côté des Sciences Humaines, Les chercheurs se posent les questions suivantes :

Quels seront les impacts sur cette cellule, entité qu’est la famille ? Quel est le type d’interaction de signes-traces entre ces deux corps, un corps humain vivant et un corps-machine non-vivant ? Les signes-traces organisationnels dans la famille : la répartition des tâches, les relations entre les membres de la famille et notamment les relations parents-enfants, le style de communication familiale, ou les valeurs portées et transmises au sein de la famille. Et l’impact sur le « corps-trace » humain : transformations de la sensori-sensibilité, de l’interaction empathique, de l’expression verbale, des représentations, des enfants.

Quelles sont les nouvelles prosodies à imaginer ?

De l’importance des collaborations multidisciplinaires au coeur du laboratoire de recherche et de l’entreprise

L’apport de l’art et du design-fiction me semble fondamental dans ces recherches.

Le design de fiction est un outil stimulant puisqu’il permet de designer des provocations, des émotions, des scénarios pour inviter chacun à prendre part aux débats de société. Utilisé dans le cadre de collaborations croisées en laboratoire ou en entreprise, il est aussi un outil formidable auprès des consommateurs et au-delà des citoyens.

En école d’art, Le projet Misbehaviors au sein de l’EnsADLab, Paris tente de renverser les points de vues dans la relation entre humain et machine et de considérer davantage l’agentivité des objets et des matériaux.

Chez les designers, le travail de Kelly Dobson est tout à fait intéressant avec Blendie, le robot dont le langage doit être compris par l’humain.

Du côté des artistes, Fabien Zocco étudie dans ses projets comme The Black Boxes et l ‘Entreprise de déconstruction théotechnique la prosodie des machines. L’artiste Rocio Berenguer dialogue et danse avec un bot conversationnel dans Homeostasis et continue ses recherches pour imaginer des projets autour de l’IA (à détouner) et des relations humain-machine (à réinterroger au-delà de l’anthropocène).

Penser ces mutations avec tous les acteurs de la société est très certainement un enjeu pour designer une société et penser un « monde commun ».

En savoir plus:

Journée d’études Université Le Havre: https://www.univ-lehavre.fr/spip.php?article1572

Le signe-trace : GALINON-MELENEC Béatrice (dir.), L’Homme trace, Perspectives anthropologiques des traces humaines contemporaines, Paris, CNRS éditions, série L’Homme-trace tome 1, 2011, pp 191-212.

https://www.univ-lehavre.fr/spip.php?article1572

Buddy : https://www.youtube.com/watch?v=1753wRMHMTk

Le cas Cayla et I-Que http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/12/04/jouets-connectes-la-cnil-met-en-demeure-le-fabricant-de-la-poupee-cayla-et-du-robot-i-que_5224291_4408996.html#ApjDOCdQ266ffJzo.99

“Pour une république numérique” : https://www.republique-numerique.fr/

Love Dolls, écouter sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/desirs-humains-dinhumain-le-plastique-cest-fantastique